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Portraits intimes et universels d’humains face à leur solitude

C’est un audacieux et troublant récit que nous content les comédiens de la Compagnie Triplik. Avec une mise en scène contemporaine, Léa Lelièvre signe un texte aussi vif qu’intelligent. Traces noires sur mes joues offre un triptyque de portraits intimes de personnes avec pour point névralgique la solitude. Une pièce émouvante, passionnée et crue, servie par de jeunes comédiens talentueux, découverte au Théâtre La Croisée des Chemins

Traces noires sur mes joues captive, choque parfois mais dans le bon sens du terme. L’on est en effet frappé par l’urgence du message délivré par ces personnages, par la vivacité de cette douleur causée par la solitude. Manque d’amour, rejet, inceste, deuil, ces comédiens nous content avec talent ces meurtrissures de l’âme qui nous marquent à jamais, avec lesquelles nous apprenons à vivre…

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Quatre personnages nous parlent de leur désespoir, chacun avec leur sensibilité. Le langage et la mise en scène sont crus, vifs et audacieux. Les thèmes traités sont à la fois d’actualité et intemporels, le suicide d’une jeune homosexuelle causé par la crainte du rejet familial, un premier chagrin d’amour, le ghosting (rupture amoureuse sans explication), et l’inceste.

La louve est ce personnage féminin et virile à la fois. Elle pleure la perte de l’être aimée. Elle est tantôt adulte et féroce, tantôt enfantine dévorant ses sucreries. Sa nudité au début de la pièce n’a pas un caractère sexuel, mais est porteuse d’une vulnérabilité universelle. « c’est comme si tu n’avais pas existé, comme si j’avais rêvé , il reste plus que le vide, c’est hyper flippant quand t’y penses bien le vide, ça rentre dans toi puis tu finis pleine de ce vide qu’en finit plus de déborder, t’en viens presque à douter de ce qu’il y a autour de toi, à te dire que tu t’invente des amis imaginaires. »

Le poète est un jeune homme qui connait son premier chagrin d’amour. Il oscille entre les moments de poésie et les moments pathétiques. « Fou dévouement pour la Marguerite fanée, Goût de chrysanthème dans tes baisers, Le linceul de ta peau m’aspire… »

Ensemble sans vraiment être en couple, ces deux personnages trompent leur solitude dans des corps à corps qui leur apportent tantôt un certain apaisement, tantôt une amertume persistante.

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La fille au téléphone, terriblement touchante, son amoureux a rompu avec elle, complètement vide, elle a le sentiment de ne pouvoir exister sans lui. Celui-ci refusant de lui répondre ou de lui apporter une explication qui pourrait lui être salvatrice, elle en est réduite à laisser une kyrielle de messages sur son répondeur, restant eux-aussi sans réponse. Elle a le sentiment d’avoir fondu son âme dans celle de l’être aimé, et dès lors de ne pouvoir la récupérer. Seule face à ce vide incommensurable, elle émeut par la véracité troublante de ses propos, par sa détresse. « Voilà c’était simplement pour dire cela que j’ai rappelé. Et bien lorsque tu ne seras plus occupé et si tu en as envie bien sûr, ne t’en sens pas forcé évidemment, mais tout de même ce serait appréciable que tu rappelles, ainsi nous pourrions parler de vive voix. »

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L’artiste, elle est dans sa loge, elle ressasse ses souvenirs. Elle dit ne plus avoir compté son âge après ses huit ans, elle souhaiterait revivre cette insouciance, avoir toujours ces huit ans pétris de rires, de jeux et d’insouciance, cette douceur ineffable propre à l’innocence. Elle se dévêtit pour mieux s’approprier son corps, son identité sexuelle, pour le chasser, lui, de ce corps qu’il s’est approprié sans y être invité. Touchante à fendre l’âme, ce personnage nous parle de l’inceste et des ravages qu’il provoque. « Quand je me désape, Je suis invincible. Parce que tu m’atteins plus. Je suis hors de portée. Tout le monde voit mon corps, Il m’appartient. Plus que jamais. Tu m’atteins plus. T’es comme un fantôme d’enfance, Un souvenir lointain. Sans importance. »

Les comédiens: Salomé Yhuel, Zoé Destefanis, Clara Rouget, Pasiphaé Le Bras, Clément Damien, Meyling Jusseaume

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N’hésitez pas à lire la critique de ma complice Nathalie, Le petit monde de Natieak sur cette pièce, ici.

L’on ne sait si ces personnages se connaissent ou non, ils ne se rencontrent qu’à la fin, dans une sorte de fête libératrice et onirique. Mais se connaissent-ils vraiment ou sont-ils seulement unis par une même détresse causée par leur incommensurable solitude?

compagnie-triplikcrédits photos: Compagnie Triplik 

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